Lancé en 2015, le Programme de soutien aux initiatives de solidarité pour le développement (Paisd) a eu des résultats encourageants avec près de 21 milliards de FCfa de financement en 11 ans dans les secteurs de l’éducation, la santé, l’accès à l’eau, etc… C’est la conviction de son coordonnateur Papa Birama Thiam. Dans cet entretien, M. Thiam, par ailleurs directeur de la coopération technique à la présidence de la République, a expliqué la genèse de ce programme, sa contribution au développement socio-économique des régions d’origine des migrants. Il  annonce le démarrage, à la fin du premier semestre de cette année, d’une nouvelle phase du Paisd avec l’appui de l’Union européenne qui a validé un financement de 6,6 milliards de FCfa en décembre dernier.
M. Thiam, le Paisd a bouclé onze ans d’existence. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui avaient conduit à la création de ce programme?
Le Paisd est un dispositif visant à soutenir et à accompagner les initiatives portées par les ressortissants sénégalais en France en faveur du développement économique et social de leur pays d’origine. Sa mise en place découle du besoin de renforcer l’engagement et la solidarité de la Diaspora sénégalaise vis-à-vis de son pays d’origine, en cohérence avec les politiques publiques. Vous savez, au-delà de leurs transferts d’argent vers le Sénégal qui avoisinent aujourd’hui 2 milliards de FCfa par jour, la Diaspora contribue aux côtés des pouvoirs publics, à la réalisation de nombreux projets de développement pour faciliter l’accès à des services sociaux de base surtout en milieu rural. Dans les grands bassins de migration vers la France, en l’occurrence la vallée du fleuve, l’implication des migrants est particulièrement significative avec la réalisation d’établissements scolaires et de formation professionnelle, la mise en place de structures de santé, d’ouvrages hydrauliques et hydro-agricoles.
L’intervention du Paisd concerne quatre axes principaux. Le soutien aux investissements économiques de la Diaspora, la mobilisation de l’expertise des juniors et de séniors de la Diaspora au profit des structures publiques de développement, le financement de projets de développement local dans les localités d’origine des migrants et le désenclavement numérique des zones périphériques du pays avec la réalisation de centres de ressources multimédias.
Le pilotage opérationnel du Paisd est assuré par la Direction de la coopération technique, rattachée au Secrétariat général de la présidence de la République. Nous collaborons étroitement avec l’ambassade de France au Sénégal, en l’occurrence le Service de coopération et d’action culturelle (Scac).
Quel est le nombre de projets financés au cours de cette période et le montant mobilisé?
Depuis le lancement du Paisd en 2005, nous avons enregistré dans chacune des composantes du programme un nombre assez satisfaisant de réalisations.
Au titre de la composante « Appui à l’investissement économique des migrants », nous avons soutenu plus de 550 promoteurs dont 65% ont lancé leur activité pour un volume d’investissement de prés de 6 milliards de FCfa avec environ 1.800 emplois créés. Certaines des initiatives économiques que nous avons soutenues, à l’image de la société « Niokolo transport » qui dessert les régions de Tambacounda et Kédougou, font figure de leaders dans leur domaine.
Quatre-vingt-huit (88) missions de « Mobilisation de l’expertise de la Diaspora » ont été organisées dont la dernière en date a porté sur le partage de l’expérience française de la Lolf (la loi organique relative aux lois de finances) au profit du Bom (bureau organisation et méthodes).
Le volet « appui au développement local des régions d’origine des migrants » a porté sur le financement de près de 165 projets pour un volume de financement de plus de 12 milliards de FCfa dans des secteurs prioritaires, notamment l’éducation et la formation professionnelle, la santé, l’hydraulique, les aménagements hydro-agricoles et l’état civil.
Dans le cadre de la composante « Désenclavement numérique », le Paisd a fini de réaliser six centres d’accès de ressources multimédias et nous avons bouclé le processus d’acquisition des équipements. Nous sommes aussi dans les démarches de partenariat avec les collectivités territoriales bénéficiaires et avec des structures dédiées en particulier l’Uvs (Université virtuelle du Sénégal) pour la mise en service de ces centres.
Au total, c’est plus de 21 milliards de FCfa qui ont été mobilisés et investis dans le cadre du Paisd. Mais, au-delà de ces chiffres et des réalisations physiques, le Paisd a surtout réussi à structurer et à mettre en cohérence l’apport de nos migrants en France avec les politiques publiques comme le Pse, l’Acte 3 de la décentralisation et les plans sectoriels.
Il convient d’ajouter à ces financements d’ordre public, l’apport substantiel des associations de migrants sur leurs fonds propres et via la participation de divers acteurs en Europe en l’occurrence les collectivités territoriales d’accueil, les Ong et des fondations privées. Ces contributions ont représenté un montant de 4,2 milliards de FCfa de fonds additionnels en 11 ans d’existence.
Vous venez de boucler une tournée dans les départements de Bakel et de Goudiry. Comment appréciez-vous l’état d’exécution des projets financés par le Paisd ?
Dans un contexte de mise en œuvre du Pse et des réformes constitutionnelles qui accordent une place centrale à l’implication de la Diaspora dans les efforts de développement, cette tournée avait pour objectif de magnifier l’apport et de renforcer la mobilisation de la Diaspora. Il s’agissait aussi d’une tournée pour faire échanger nos partenaires, en l’occurrence l’ambassade de France au Sénégal et les acteurs du développement dans ces territoires notamment les services techniques et les collectivités territoriales qui prennent davantage conscience de l’intérêt de mobiliser les migrants autour des stratégies de développement.
Au cours de cette tournée, nous avons eu à lancer de nouveaux projets dans le secteur de l’hydraulique rurale. Nous avons eu aussi à procéder à des cérémonies d’inauguration de projets de santé qui viennent renforcer la carte sanitaire dans des zones en déficit.
La tournée a porté aussi sur une visite de chantier sur le projet de lycée départemental à Goudiry. Nous avons enfin passé en revue un certains nombre de projets qui ont été financés il y a une dizaine d’années, qui se sont consolidés et amplifiés depuis; confirmant ainsi toute leur vitalité et leur haut niveau d’appropriation par les communautés bénéficiaires.
Quelle appréciation faites-vous de l’implication des migrants dans le développement de leur terroir?
La particularité de la migration sénégalaise tient à son engagement et à sa solidarité vis-à-vis de son pays d’origine. Le succès des opérateurs de transferts d’argent est un indicateur de cette dynamique qui profite largement à la consommation des ménages mais qui gagnerait à mieux profiter aux ambitions de notre pays en termes de création de richesses et d’emplois. N’oublions pas aussi le potentiel d’expertise mobilisable que regorge notre Diaspora qui a fortement évolué du fait de l’émigration des étudiants, de hauts cadres et d’universitaires.
Dans le cadre du Paisd, d’importantes réalisations ont été enregistrées mais nous constatons qu’il y a encore du chemin à faire.
En termes d’investissement dans les secteurs sociaux, l’enjeu réside aujourd’hui dans la réalisation de projets structurants. Le réflexe des associations des migrants de soutenir des actions de développement dans leur village d’origine doit être repensé à l’échelle des territoires dans une logique de rationalisation des ressources et en cohérence avec l’Acte 3 de la décentralisation. Au plan économique, les réformes engagées par le Sénégal visant à assainir l’environnement des affaires et la bonne gouvernance, constituent un gage pour mobiliser l’épargne des migrants en faveur de l’investissement économique.
Nous avons constaté que les interventions du Paisd sont beaucoup plus orientées vers les régions de Tambacounda et de Matam. Comment l’expliquez-vous?
Il est vrai qu’à première vue, la répartition des interventions du Paisd paraît déséquilibrée. En effet, les régions de Matam et de Tambacounda polarisent 2/3 des projets financés et près de 80% des financements alloués. Cette tendance est à replacer dans un contexte historique et sociologique. Les projets soutenus sont implantés dans les régions correspondant à la première vague d’émigration des années 60-70, suscitée par des dispositifs publics français encourageant le recrutement de travailleurs originaires du bassin du fleuve Sénégal et du Sénégal oriental. Cette situation s’explique aussi d’une part par le dynamisme et le niveau de structuration des associations de migrants issues de ces zones et, d’autre part, par leur plus grande capacité contributive.
Cependant, le Paisd est un programme d’envergure nationale qui a vocation à promouvoir des interventions sur l’ensemble du territoire sénégalais. Le Paisd s’adresse à tous les citoyens Sénégalais basés en France désireux de poser un acte de solidarité en faveur de leur pays d’origine. Au-delà de ce rappel, le Paisd a été attentif afin de remédier à ce déséquilibre en allant mobiliser et en soutenant des associations de ressortissants originaires d’autres régions au Sénégal. Cela a permis d’élargir les zones d’intervention et le dispositif est présent aujourd’hui dans 10 régions que sont Saint-Louis, Matam, Tambacounda, Louga, Diourbel, Fatick, Kédougou, Ziguinchor, Sédhiou et Kolda où des projets ont été réalisés.
Que faire pour toucher les autres régions, notamment dans la partie sud du pays ?
Nous sommes sensibles à toutes les sollicitations de nos compatriotes, surtout ceux originaires du centre et du Sud. L’initiative de désenclavement numérique que j’évoquais est une première prise en compte de ces préoccupations.  Ensuite, notre porte d’entrée reste la communauté de migrants. Ils sont à la base de chaque initiative. Nos interventions sont liées à leur engagement. Pour faciliter leur implication, nous avons mis en place un dispositif de proximité sur le double espace avec une cellule relais basée en France et prochainement, une antenne dans la zone Sud en plus de fréquents déplacement en Europe, à la rencontre de nos compatriotes.
Nous avons engagé aussi des discussions avec nos partenaires pour augmenter le taux de subvention du Paisd et par conséquent alléger le taux de contribution financière de nos ressortissants. J’ai bon espoir qu’on va arriver à un meilleur résultat dans les régions du sud et du centre d’autant plus que nos partenaires soutiennent notre démarche. J’invite aussi les associations de ressortissants sénégalais originaires des régions du centre et du sud à s’inspirer du dynamisme constaté dans les zones nord et est du Sénégal pour égaler leur niveau d’engagement.
Enfin, nous travaillons à l’élargissement de nos actions de mobilisation de nos compatriotes en Europe. Les demandes de nos communautés présentes en Espagne, en Italie et en Belgique seront désormais prises en compte dans le cadre du Paisd et nous pourrons soutenir leurs initiatives aux fins de démultiplier nos capacités d’intervention.
Lors de la tournée dans la région de Tambacounda, vous avez annoncé une troisième phase du Paisd. Qu’en est-t-il réellement?
L’aventure du Paisd se poursuit. Prévu pour une durée initiale de trois ans en 2005, le dispositif a été renouvelé plusieurs fois depuis. Les résultats atteints par le Paisd, notamment sur les aspects de viabilité des interventions constatés lors de la tournée dans la région de Tambacounda, ont trouvé un écho favorable auprès des partenaires. La Commission européenne a ainsi validé, en décembre 2016, le financement d’une nouvelle phase du Paisd à hauteur de 6,6 milliards de FCfa. Nous pouvons également compter sur la France, notre partenaire de la première heure, qui apporte une contribution de 1,3 milliards à travers l’Agence française de développement (Afd). Enfin, l’État du Sénégal complète le tour de table des bailleurs en apportant une contribution à la hauteur de la participation française, soit 1,3 milliards FCfa. J’y suis particulièrement sensible à cette participation qui témoigne du soutien et de l’engagement des autorités sénégalaises sur la thématique migration et développement. Nous nous sommes donnés quatre ans pour réussir ce nouveau pari. Le processus de contractualisation est en cours et nous espérons pouvoir entrer dans le vif du sujet rapidement à la fin du premier semestre 2017.

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